En direct de Lady First 3 sur la Transat du RORC
Le 8 janvier, Christopher Pratt et l’équipage de la belle Lady First 3 ont mis les voiles depuis Lanzarote. Avec les trente autres concurrents de la transat du RORC (NDLR : Royal Ocean Racing Club), ils vont traverser l’Atlantique pour rejoindre Grenade en une quinzaine de jours. Christopher vous raconte leur périple avec ses carnets de bord quotidiens.
Jour 6 - Jeudi 13 janvier 2022
Presque 48 heures plus tard nous voilà enfin de l’autre côté de cette satanée dépression ! Ce n’est pas encore l’alizé mais à priori le plus dur est derrière nous.
Le passage de la dépression s’est fait de nuit et en nous approchant un peu trop de son centre, nous avons manqué de vent… Nous y avons perdu quelques milles mais l’essentiel est fait ! Nous filons désormais à bonne allure en route directe (enfin, pour le moment) vers l’arrivée ! Notre belle Lady est à son plein potentiel, tout comme son équipage. Voilà, deux raisons d’être satisfait s’il en fallait !
Nous sommes toujours dorlotés par de bons petits plats, apéritifs, goûters gargantuesques et pleins de saveurs ! Je n’en reviens toujours pas de tout ce nous avons pu stocker dans ce bateau ! Moi, qui suis habitué aux traversées spartiates – pour ne pas dire violentes – en Imoca, j’en suis presque perturbé… Nous vivons comme à la maison, ou presque : machine à café (bon, ceux qui me connaissent bien savent que je n’en bois pas mais sur le principe !), grille-pain, micro-onde, four, etc. J’ai même passé l’aspirateur hier ! Oui, oui, je vous assure !
Alors, nous ne sommes certes pas les plus rapides mais nous sommes sans nul doute, les plus confortables ! Et comme je dis souvent, du plaisir vient la performance, alors !
D’habitude, au bout de trois ou quatre jours je commence à me sentir vraiment bien en mer… Cette fois-ci, il me semble que ce sentiment tarde à venir… Trop de confort ? Peut-être. Trop de monde à bord ? Peut-être aussi. Il est vrai que je navigue à l’accoutumée seul ou en double – ce qui finalement revient en réalité à être seul en alternance. Puis, en tant que chef de projet, la responsabilité de l’équipage et de la route m’impose une vigilance et une attention très importantes.
Néanmoins, je savoure cette coupure avec la terre ! Nous n’avons aucune nouvelle terrienne et je ne m’en porte que mieux. Nous sommes loin des aberrations de notre société pour encore huit jours et je n’ai pas l’intention d’en rater une miette !
Je n’ai encore écouté ni musique ni podcast ni livre audio (NDLR : c’est inhabituel, très inhabituel). J’ai simplement eu le temps de lire un livre qui parlait de mal au dos somatique et de middle-life crisis. Je réfléchis.
Jour 8 - Samedi 15 janvier 2022
Je crois que c’est le premier anniversaire que je passe en mer – enfin, je veux dire vraiment en mer, sans rentrer le soir à terre ! C’est marrant. L’équipage a été trop chou ! J’ai même eu droit à un gâteau 🙂 Corinne a réalisé pour l’occasion un portrait de moi. Que d’attentions !
Le temps est merveilleux. Désormais, il y a une quinzaine de nœuds de vent, une houle régulière et la température est idéale. Nous glissons à bonne allure sur la route directe. Ce matin, nous avons rangé, nettoyé le bateau et procédé à quelques petites réparations. S’est ensuivi un repas de roi à base de riz, ratatouille, côte de porc et du fameux gâteau d’anniversaire !
Pour être honnête, je n’aime pas trop les anniversaires encore moins le mien, bien moins encore depuis que j’ai passé la quarantaine ! Alors celui-ci est finalement assez supportable tant il s’inscrit dans une temporalité et contexte à part. Un contexte qui me ramène moins à la notion du temps qui passe et des milliers de choses qu’il « me reste à faire » !
Ici, à bord je suis entouré de gens brillants et plus âgés que moi qui ont été ou sont de grands hommes et femmes, entrepreneurs, médecins, marins, etc. Je suis admiratif de leur parcours et je ne cesse de me demander comment ils ont trouvé le temps de faire tout ce qu’ils ont fait ! Je me demande aussi comment ils ont réussi à savoir tout ce qu’ils savent !
Ce questionnement grandit encore quand la nuit, lors de quelques quarts où quand le débat s’estompe sous le joug de la fatigue des troupes, j’insère des écouteurs dans mes oreilles et que je lance un podcast. Là encore, je retrouve au micro des femmes et des hommes d’exception, brillants, intelligents, humains, sachants et je me questionne encore et toujours à mon propos : comment est-ce possible d’avoir fait si peu alors que 41 ans se sont déjà écoulés ? C’est à la fois frustrant et motivant !
Il reste tant de choses à voir, à faire, à apprendre, à lire, à découvrir, à partager. Tant de choses sont déjà derrière. Où sont-elles vraiment d’ailleurs ? Je me retourne et je ne les vois pas. Est-ce important de les voir ? Est-ce nécessaire de se retourner ? Faut-il avoir regardé derrière pour bien voir devant ? Peut-être ni l’un ni l’autre. Peut-être faut-il juste être là, au milieu de l’océan, bercé par les vagues, caressé par l’Alizé. Être là, être vivant seulement, ni triste ni heureux, ni mélancolique ni joyeux, juste là. J’ai 41 ans et je suis là, au milieu de l’Atlantique.