En direct de l'IMOCA CHARAL sur la Transat Jacques Vabre
MARSAIL vous emmène à bord de Charal ! Le duo Pratt/Beyou s’est lancé à l’assaut de la Transat Jacques Vabre 2021 le 7 novembre dernier. Tout au long de la mythique course, Christopher vous fait vivre la course en direct depuis l’IMOCA par ses carnets de bord pour La Provence. Des mots qui ont voyagé, nés entre les pontons du Havre et les vagues de l’Océan Atlantique.
Épisode 2 : sans confort, la banalité devient aventure !
Ma sixième Transat Jacques Vabre est désormais bien entamée et, alors que nous glissons en direction de Madère, je prends quelques instants pour réfléchir à cet étrange début de course… Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il est inhabituel ! Ce qui est paradoxal, c’est que, tout en étant très lent, il a toutefois été éreintant ! Il faut comprendre que, moins le vent est établi, plus on se bat pour être au bon endroit et exploiter toutes les opportunités au maximum. Ce jeu d’accordéon au cœur du golfe de Gascogne nécessitait d’avoir les nerfs solides ! Après des heures de duel avec Samantha et Nicolas (à bord de l’IMOCA Initiatives Cœur, NDLR), nous avons recollé aux leaders. Nous naviguons depuis plusieurs heures désormais en 3e position.
Depuis le passage du cap Finisterre, nous avons enchainé de très nombreuses manœuvres. Les dizaines d’empannages (changement de bord avec le vent venant de l’arrière) et la pression du placement tactique nous ont imposé une phase extrêmement sportive. On ne s’en plaint pas bien que le rythme soit très soutenu !
Faire corps avec le bateau
Dans quelques heures cela fera six jours que nous avons quitté Le Havre, et a priori, nous avons seulement parcouru un petit tiers de la course. La route est encore longue, mais les automatismes se recréent déjà. C’est probablement ce que j’aime le plus dans notre sport : ce changement de dimension spatio-temporelle. Entrer dans cette vie d’ermite prend du temps. Au début, ton corps et ton esprit luttent. Ils sont encore terriens. Ils refusent la réalité. Puis, jour après jour, ils s’acclimatent. Tu t’acclimates. Ils oublient. Tu oublies. Tu oublies ce qu’est la vie terrienne. Tu oublies ce qu’est le temps. Tu oublies ce qu’est l’espace. Tu fais corps avec le bateau. Les quarts s’enchainent : manœuvres, réglages, stratégie. Ils sont entrecoupés de tâches quotidiennes très primaires. Une nouvelle routine se crée. Manger, se brosser les dents, aller aux toilettes, tout est compliqué à bord. Sans confort, la banalité devient aventure ! Depuis que nous avons quitté « le pot de Gascogne », il est difficile de se tenir debout dans cet alizé portugais tonique fidèle à sa réputation !
Donner le meilleur de soi loin de ses repères
Les repères spatiaux sont devenus maritimes. Le temps, lui, a perdu tous les siens. Il devient double : tout à la fois très lent et très rapide. J’adore cette bulle temporelle si particulière, celle de l’ultra-endurance. Celle où le monde s’arrête et s’accélère en même temps. Celle où seul le présent existe et te guide. Plus j’y réfléchis et j’écoute les penseurs et maîtres spirituels sur le sujet, plus je suis convaincu du pouvoir de cette situation. Être en mer (ou en montagne d’ailleurs) dans un confort minimaliste, voire spartiate, en symbiose avec les éléments est une forme d’ermitage.
Je n’irais pas jusqu’à dire que cela s’apparente à une méditation, car le principe même d’être en course semble s’y opposer, quoique… Accepter ce qui est – et que l’on ne peut changer – et être concentré sur l’instant présent est certainement la marque des grands champions. Quelques fois, c’est une lutte intérieure. Pourtant, j’ai l’impression que tout prendrait du sens en alliant la puissance des deux. La compétition se joue avant tout avec nous-mêmes. C’est en donnant le meilleur de moi et en tirant le meilleur de la situation dans laquelle nous sommes que je nourris mon énergie. Et c’est en étant dans cette posture mentale que la performance sportive se constitue.
Bon, assez réfléchi ! Il est l’heure de sortir de la spiritualité et de la contemplation : nous avons une course à gagner ! Tous philosophes que nous soyons, nous n’allons rien lâcher !